Le vers solitaire / Larmes de destruction massive
Je t'avais dit que j'avais repris la plume. T'as gagné deux textes pour le prix d'un. Le premier date de septembre.
Le vers solitaire
Je suis là, debout, et je n’ai rien à dire.
Ou plutôt, je n’ai rien pu écrire.
Je manque de mots, je suis morose, ma prose s’est fait la malle.
Avant, c’était il y a une éternité, ça fait ancien combattant mais l’éternité c’est très long. Avant, donc, il me venait une idée, elle repartait dans un texte. Pas toujours terrible, mais souvent potable. Et un jour, il n’y a plus eu de sessions slam et les mots ont claqué la porte, SLAM !
J’ai bien essayé d’écrire de mon côté, en célibataire de l’écriture. Mais il n’y a eu que des coups d’un soir, des coups de stylos rageurs sur un morceau de papier, et la rupture immédiate. Ma prose s’était fait la malle.
J’ai essayé de fréquenter la poésie en alexandrins, mais ça ne rimait à rien, je crois que j’ai le vers solitaire qui me ronge.
J’ai joué l’écrivain maudit, les textes vomis à la sortie des bistrots. Mais l’écriture n’est pas soluble dans l’alcool, j’ai le verre solitaire et le foie en éponge.
De son côté, ma prose a fait le tapin pour des textes haineux. Elle a été dans les bas-fonds, a fini dans le caniveau à force d’inspiration de bas niveau. Y’a eu des tentatives, des textes gratuits comme autant de passes offertes à des clients fidèles. Mais pour combien de brouillons, de bouts de phrases avortées…
Le temps a passé sans que j'y prenne garde. Restait en filigrane une pensée émue pour mon amante que je caressais de ma plume, pas toujours dans le sens du poil.
Pour qu’elle revienne, je suis là, debout, a essayer de la séduire. Je bois des verres solidaires entre amateurs de couperose et écoute des bouts de prose. Je compte sur ce truc qui fige les veines, qui abolit le temps, cet instant qui tend les muscles et tord l’estomac. Ce truc viscéral et futile à la fois, mais le seul qui me donne un enjeu à l’écriture.
Alors je suis là, debout, à raconter ma prose qui s’est fait la malle.
Je suis là, debout, et j’espère refaire des textes pas mal.
Le deuxième date de début janvier. Il pourrait en être la suite.Un texte à double entrée.
J’aimerais découvrir tes dents
Sans en avoir la molaire
J’aimerais allumer une lueur dans tes yeux
Sans me prendre un retour de femme
J’aimerais t’embarquer dans un embargo
Sans faire de dégâts collatéraux
J’aimerais pouvoir te faire rire
Sans me demander si c’est par politesse
J’aimerais au moins te faire sourire
Sans craindre que ce ne soit par faiblesse
J’aimerais inciser ton muscle cardiaque par frappe chirurgicale
Sans te faire souffrir d’un vague à l’âme de destruction massive
Mais je n’ai pas le profil
Pour te regarder en face
Pour te regarder de travers
Pour sortir des chemins de traverse
Pour te parler sans détourner le regard
Pour quitter cette réserve et l’air hagard
Pour te toucher sans froisser le quant à soie
Pour en découdre avec l’étoffe du zéro
Pour te faire sortir de mon esprit
Pour te faire entrer dans ma vie.
Un jour peut-être, quand j’aurais assez bu ou assez osé, désinhibé et décidé, je serais capable de tout ça sans faire trop de dégâts.
Pour le moment, j’attend, spectateur passif et je tente, spectaculaire poussif.
Je fais couler l’encre pour ne pas faire couler les larmes.
Dérisoire décision. Ecrire un texte comme un prétexte, pour ne pas dire qu’on est flatté, pour ne pas s’avouer touché, pour éviter de trouver ça joli une jolie fille qui souri à notre petit courage d’un soir. Ecrire des mots pour ne rien dire, pour ne pas en dire, pour ne pas se maudire d’être un couard, ou pire.
Et si on essayait de faire juste couler le sang dans nos artères, avec un peu de veine ça peut donner quelque prose ?
[Aux yeux pralines
A l’espoir d’un départ nouveau
Au mots qui donnent chaud à l’ego
A C****]